Abstract

In the autofictional novels Le Ventre de l’Atlantique by Fatou Diome and Pays sans chapeau by Dany Laferrière, the narrators’ experiences, upon returning to their native countries after years spent away, illustrate the effects of migration and exile on their identities and feelings of belonging. Both authors of French expression grew up in countries formerly colonized by France but later moved away. In the two novels under study, their characters follow a similar trajectory. Salie, the narrator of Diome’s novel who grew up as a social outcast, left the enegalese island of Niodior for France. Laferrière’s narrator, a writer and journalist known as Vieux Os, fled Haiti due to the political situation and moved to Canada, where he stayed for twenty years. Since Le Ventre de l’Atlantique and Pays sans chapeau were published in 2003 and 1996 respectively, examining them together provides a unique perspective on French-language postcolonial migrant literature produced at the turn of the century. In my paper, with the help of the concept of cultural hybridity, I analyze the novels through a postcolonial lens to obtain a clearer picture of their main characters’ understandings of their identities. My paper explores how each author uses their narrators’ childhood memories, the rejection and reconnection they felt upon returning home, and the act of writing to communicate the nature of their hybrid identities. Ultimately, this paper demonstrates that, when faced with the insecurity of in-betweenness, the narrators use the act of writing to stabilize their complex relationships to their countries.  

L’entre-deux, l’écriture et le retour au pays chez Fatou Diome et Dany Laferrière 

Dans un monde où les effets de la colonisation sont encore très tangibles, l’identité culturelle d’un individu peut être complexe. Fatou Diome, l’auteure du Ventre de l’Atlantique, et Dany Laferrière, l’auteur de Pays sans chapeau, sont deux écrivains d’expression française qui ont grandi dans des pays anciennement colonisés par la France. Les expériences des narrateurs de ces deux livres reflètent la vie des auteurs ; ainsi il est possible de les considérer comme des autofictions. Salie, la narratrice du Ventre de l’Atlantique, est partie du Sénégal pour vivre en France, l’ancien colonisateur de son pays. Vieux Os, le narrateur de Pays sans chapeau, qui était journaliste a quitté Haïti, son pays natal pour survivre à une situation politique dangereuse pour lui. Dans Le Ventre de l’Atlantique, la narratrice est en France, mais elle nous parle de son enfance au Sénégal et d’un voyage qu’elle y a fait dans le passé. Chez Laferrière, le narrateur vit un retour en Haïti où il découvre qu’il doit réapprendre sa culture. Dans leurs romans, Diome et Laferrière mettent en scène le retour au pays natal pour illustrer l’impact de l’immigration et de l’exil sur l’identité et le sentiment d’appartenance de leurs personnages principaux. L’objectif de cet article, qui utilise la théorie postcoloniale et le concept d’hybridité comme problématisé par Homi Bhabha, est d’explorer comment les deux auteurs utilisent leurs souvenirs d’enfance, les expériences de rejet et de reconnexion lors du retour au pays et l’acte d’écrire pour expliquer les identités hybrides de Salie et de Vieux Os.  

Est-ce que le retour au pays peut avoir lieu si le pays—et le voyageur—ont changé ? Ou est-ce que l’effet du temps à l’étranger efface toute possibilité de retrouver la même communauté ? Claire Reising évoque le concept du détour pour décrire le retour au pays quand « the return point or the homeland is, in fact, absent » (53). Au moment où les narrateurs des deux romans reviennent à leurs pays, ils trouvent que les communautés qu’ils avaient quittées ont beaucoup changé.  

Dans Pays sans chapeau, Vieux Os note que le temps qu’il a passé à l’étranger a changé son mode de pensée : « Ça se voit que j’ai vingt ans de capitalisme dans les veines » (Laferrière 136). Après avoir vécu à l’étranger, il est devenu différent de celui qu’il était auparavant. De plus, les gens qu’il connaissait en Haïti ont continué à évoluer après son départ. C’est le cas de sa mère, Marie ; après son retour, Vieux Os entend un rire « qu[’il] ne lui connaissai[t] pas » (Laferrière 149). Il doit donc s’adapter aux nouvelles versions des personnes qu’il avait laissées il y a vingt ans. De plus, les difficultés politiques et sociales ont continué en Haïti après son départ. Par exemple, les conséquences de la dictature des Duvaliers et les problèmes générés par l’invasion américaine du pays sont devenus plus intenses. Cela crée un sentiment de culpabilité chez Vieux Os parce qu’il est parti alors que son pays n’allait pas bien. Dans son article « Home and the ‘Failed’ City in Postcolonial Narratives of ‘Dark Return’», Srilata Ravi explique l’idée qu’une ville « failed » « exposes the tragedy as it unfolds, that of collapsing infrastructure, architecture of decline, and physical and material life of neverending social, economic and political crises » (296). Ravi décrit des individus dans des situations similaires à celle de Vieux Os qui revient à l’une de ces « failed cities », comme les « tourist-natives » qui essaient « to make sense of the traumatic histories that constitute these abandoned sites which were previously their homes » et qui, ce faisant, subissent souvent des sentiments de « guilt, grief, and nostalgia » (296). Pour les « tourist-natives », il est presque impossible de ne pas comparer le pays actuel au pays de leurs souvenirs (Ravi 297). Ainsi, pour Vieux Os, la nouvelle réalité du pays demeure en conflit avec ses souvenirs ; il explique « Je voudrais que rien n’ait changé durant mon absence. J’aimerais reprendre furtivement ma place parmi les miens, comme si de rien n’était, comme si je ne les avais jamais quittés. En même temps, je ne renie pas mon voyage » (Laferrière 105). La dernière phrase de la citation souligne l’importance du voyage dans sa vie. La contradiction entre le début et la fin de la citation révèle les sentiments compliqués de Vieux Os en juxtaposant sa nostalgie pour le passé et sa gratitude pour le présent, qui n’aurait jamais eu lieu s’il ne s’était pas exilé. 

Comme Vieux Os, Salie découvre lors de son retour au pays que les gens et le pays ont changé. En évoquant un concept similaire à celui de Reising (l’idée d’un point de retour qui n’existe plus), Salie explique : « Au retour, on cherche, mais on ne retrouve jamais ceux qu’on a quittés » (Diome 227). Alors que Vieux Os s’habitue aux changements politiques, Salie doit faire face à des changements sociétaux qui ont été apportés par l’arrivée de la télévision sur l’île de Niodior. Elle exprime, par exemple, son opinion sur l’effet de la télévision quand elle dit « Après la colonisation historiquement reconnue, règne maintenant une sorte de colonisation mentale » (Diome 53). Ici, elle fait référence au passé colonial du Sénégal pour critiquer un nouveau type d’influence exercée par la France sur les jeunes Sénégalais—la télévision montre la publicité française dont elle pense qu’elle représente la mondialisation et une version idéalisée du capitalisme. Donc, on peut voir que quand les deux narrateurs retournent à leurs pays respectifs, ils essayent de comprendre les résultats des facteurs externes liés à la colonisation, et ils ont l’impression de retrouver un pays différent de celui qu’ils ont quitté. 

Si des facteurs politiques résultant du colonialisme ont poussé Vieux Os à quitter Haïti, certaines parties du roman suggèrent que l’idée de partir à l’étranger avait toujours été son destin. Dans un dialogue entre Vieux Os et Philippe, son ami d’enfance, Vieux Os dit, « Tu sais que j’ai toujours voulu partir…Même s’il n’y avait pas eu de dictature, je serais parti, Philippe » (Laferrière 203). On pourrait se demander si le narrateur se sentait mal à l’aise en Haïti—si même avant son départ il n’avait pas l’impression de ne pas vraiment appartenir à son pays natal.  

Dans Le Ventre de l’Atlantique, Salie a aussi cette impression, mais pour elle, c’est plus intense. Sa naissance illégitime a créé une division entre elle et le reste de sa communauté. Certaines interactions avec Ndétare, son instituteur d’école primaire, ont aussi influencé son sentiment de non-appartenance. Ndétare, exilé à Niodior, pouvait comprendre l’expérience de Salie parce que, comme elle, il a connu l’exclusion. Mais, en essayant de rassurer Salie, il l’a aussi éloignée de sa communauté. Par exemple, Salie explique au lecteur que, quand Ndétare a voulu la motiver pour réussir à l’école au lieu de se battre avec les autres enfants qui se moquaient d’elle, il lui a dit : « Comme moi, tu resteras toujours une étrangère dans ce village […] avec un peu d’efforts, tu quitteras un jour ce panier de crabes » (Diome 78). Il est intéressant que Ndétare exprime presque la même idée plusieurs années plus tard, après le retour de Salie (Diome 169). Cette répétition de la prédiction de Ndétare concernant le départ de Salie souligne la constance de son désir de partir ; désir que Ndétare a probablement senti chez elle.

Salie, depuis son enfance, s’est sentie exclue de sa communauté, ce qui a, à coup sûr, influencé son futur exil. Pour Vieux Os, la question de l’appartenance est aussi importante. Après que son vieil ami Philippe dit en passant qu’Haïti est son pays, Vieux Os répond, « c’est mon pays aussi, que je le veuille ou non… » (Laferrière 203). Le commentaire « que je le veuille ou non » suggère que son haïtianité lui est complètement inhérente indépendamment de son lieu ou de ses expériences de vie. Effectivement, à la première page du roman, Vieux Os répète « Je suis chez moi » avant plusieurs descriptions d’Haïti qui démontrent les aspects tragiques et chaotiques du pays (Laferrière 11). Ce passage un peu inattendu suggère—et souligne avec la répétition—que Vieux Os envisage Haïti comme son pays de façon inconditionnelle. Une autre partie du roman démontre le même point de vue quand, en décrivant ce qui lui manquait, Vieux Os dit « Tout ça. Cette poussière, ces gens, la foule, le créole, les odeurs de friture, les mangues dans les arbres, les femmes, le ciel bleu infini, les cris interminables, le soleil impitoyable… » (Laferrière 176). Si on examine la structure de cette phrase, on peut remarquer que l’accumulation, qui met en lumière les caractéristiques d’Haïti, ne crée aucune distinction entre les bons et mauvais aspects de la vie dans ce pays. Cela indique que pour Vieux Os, son haïtianité est sans réserve. Mais alors, pourquoi est-il resté loin de son pays pendant si longtemps ? En fait, malgré ce sentiment d’appartenance, pour lui, le départ était nécessaire pour être libre, pour avoir la possibilité de l’autodétermination. 

Ses raisons pour quitter son pays natal sont similaires à celles de Salie. Pour décrire pourquoi elle est partie, Salie explique : « L’ailleurs m’attire car, vierge de mon histoire, il ne me juge pas sur la base des erreurs du destin, mais en fonction de ce que j’ai choisi d’être ; il est pour moi gage de liberté, d’autodétermination » (Diome 236). Cela montre que choisir de partir était sa façon de se libérer de son exclusion à Niodior. Bien qu’elle devienne plus éloignée de sa communauté, le choix d’émigrer lui donne le pouvoir de contrôler son destin. Salie ne veut pas appartenir à sa communauté si cette appartenance lui semble forcée : « Le sentiment d’appartenance est une conviction intime qui va de soi ; l’imposer à quelqu’un, c’est nier son aptitude à se définir librement » (Diome 172). Comme le dit Catherine Mazauric dans son article « Fictions de soi dans la maison de l’autre (Aminata Sow Fall, Ken Bugul, Fatou Diome) », Salie rejette toute « identité prescrite » (246). C’est ce qui explique qu’elle parte à la recherche de sa propre identité et d’un nouveau sentiment d’appartenance qu’elle peut définir.  

La répétition de « Je cherche mon pays là où » à la fin du roman démontre comment Salie cherche une appartenance hybride hors des contraintes géographiques (Diome 254). L’hybridité ici signifie une existence entre deux cultures, dans un « au-delà » que Homi Bhabha décrit comme un espace où il y a « une perturbation de la direction : un mouvement incessant d’exploration » (30). À la fin de cette séquence de répétitions, Salie résume l’importance de l’écriture dans sa vie : « Je cherche mon territoire sur une page blanche ; un carnet, ça tient dans un sac de voyage. Alors, partout où je pose mes valises, je suis chez moi » (Diome 255). L’écriture, comme acte de chercher, implique le mouvement. Cette citation montre que Salie est perpétuellement en voyage, mais comme elle se sent chez elle dans l’acte d’écrire, elle n’est pas perdue. Donc, en écrivant, Salie lutte contre l’immobilité et elle essaie d’accepter la fluidité de son identité, ce qui fait de l’écriture sa véritable patrie.

Contrairement à Vieux Os, Salie n’écrit pas pour se réintégrer à sa culture puisque le fait qu’elle aime écrire fait que les autres femmes de Niodior la « considèrent comme une […] égoïste qui préfère s’isoler pour gratter le papier plutôt que de participer aux discussions dans le jardin attenant à la cuisine » (Diome 171). Son écriture est mal considérée par les autres membres de sa communauté, pourtant elle continue à écrire. Même si son écriture la sépare du reste des femmes sur l’île, elle n’arrête pas puisque l’écriture lui offre un espace où elle peut négocier ce rejet et se réinventer. 

Cependant, comme on l’apprend quand Salie raconte son retour au pays, elle n’a jamais cessé de s’associer à cette communauté comme le montre l’épisode où des percussions suscitent en elle une sorte de nostalgie : « Aucune fille d’Afrique, même après de longues années d’absence, ne peut rester froide au son du tam-tam » (Diome 194). Même si elle n’habite plus au Sénégal, elle sait que ses origines feront toujours partie de son identité. Le lieu d’écriture de Salie est aussi important à analyser. Tandis que Vieux Os est en Haïti pendant qu’il écrit son récit, Diome a choisi de ne pas raconter l’histoire de Salie depuis son pays natal. Ce choix narratif concernant la position géographique de la narratrice à Strasbourg reflète l’éloignement émotionnel de Salie dans le roman. 

Juste après que le son du tam-tam lui rappelle sa communion avec son pays natal, Salie est prise pour une touriste. Malgré le sentiment de non-appartenance qu’elle connait depuis son enfance, cela la gêne d’être perçue comme une étrangère au Sénégal. Ce sentiment d’être rejetée vient peut-être du fait que cette expérience a lieu avec quelqu’un qui ne la connait pas dans une autre ville que Niodior. Il est donc clair que son « identité prescrite » (Mazauric 246) par sa communauté n’est pas la cause de ce moment de rejet. En revanche, ce sont plutôt ses actions qui trahissent son étrangeté, et qui contribuent à un nouveau sentiment de rejet qui vient du fait qu’elle a passé des années à l’étranger. 

On peut voir un sentiment similaire quand Vieux Os raconte un souvenir de son enfance lié au supermarché Coles Market. L’hésitation de Vieux Os à entrer dans le Coles Market quand il était jeune démontre sa peur d’être perçu comme un outsider : « J’avais peur de ne pas savoir comment me conduire, quoi dire, comment le dire, tu comprends, j’avais peur de passer pour un paysan » (Laferrière 184). En outre, il craignait de montrer qu’il ne maîtrisait pas les codes de conduite nécessaires pour réussir socialement dans le supermarché—peut-être parce qu’il se sentait déjà éloigné de sa communauté, même avant de la quitter. Quand il déclare, « Je connaissais les mots, mais pas les choses », il suggère qu’en dehors de la langue, ce n’était pas naturel pour lui de se comporter comme le reste de sa communauté (Laferrière 184). Avec ce contexte, on peut comprendre pourquoi sa langue maternelle est si essentielle au moment de sa réunion à son pays lors du retour. Dans la section intitulée « La langue », il explique, « Je plonge, la tête la première, dans cette mer de sons familiers […] Je nage sans effort. La parole liquide […] Je suis chez moi, c’est-à-dire dans ma langue » (Laferrière 84). Ici, Laferrière utilise un champ lexical lié à l’eau, ainsi que l’imagerie de la nage, pour décrire la sensation calmante d’immersion dans le créole haïtien que ressent Vieux Os.  

La façon dont Laferrière écrit, malgré le fait que ce n’est pas en créole haïtien, rend néanmoins hommage à sa culture (qui est aussi celle de Vieux Os qui le représente). Il réussit cette célébration de la culture haïtienne avec des proverbes haïtiens en exergue à chaque chapitre et avec son style d’écriture dont il dit qu’il reflète la peinture primitive, ou l’art naïf, un mouvement artistique populaire en Haïti qui se caractérise par des images simples tirées de l’environnement du peintre. Vieux Os se décrit au début du roman comme un « écrivain primitif » (Laferrière 14) parce qu’il écrit ce qu’il voit directement sans ajouter trop de détails ou d’interprétations supplémentaires. Selon Reising, « Indeed, he verbally adapts techniques of naïve art to replace totalizing and ordered visions with images that […] attack the viewer’s vision » (Reising 51). La qualité picturale de son écriture lui permet de célébrer tous les aspects de la vie haïtienne. L’écriture devenant, de ce fait, sa manière de redécouvrir sa culture après vingt ans d’exil.  

D’une manière différente, la langue contribue aussi à la « quête identitaire » de Salie (Mazauric 251). Au lieu d’utiliser l’écriture pour renforcer ses rapports à ses deux pays, elle l’utilise pour inventer une identité qui est indépendante des lieux : « Exilée en permanence, je passe mes nuits à souder les rails qui mènent à l’identité. L’écriture est la cire chaude que je coule entre les sillons creusés par les bâtisseurs de cloisons des deux bords » (Diome 254). Ces images de rails et de cire nous aident à visualiser l’hybridité de la narratrice. Salie s’enracine dans ses mots, se définit sur ses pages. En manque d’une identité basée dans des lieux géographiques, elle cherche une appartenance dans l’écriture. Comme Robert Nathan l’explique, « Writing is portrayed in the novel […] as a means of navigating the treacherous waters of a life lived between cultures and between worlds » (81). Même si Salie reste entre deux pays (et deux cultures) différents, elle se rend compte que l’écriture est comme un terrain neutre, une espace d’entre-deux.  

Pour expliquer ce concept Diome rend métaphorique l’entre-deux géographique qu’est l’océan. Elle accomplit cela en utilisant deux champs lexicaux qui mélangent les mots associés à l’océan aux mots associés à l’écriture : « Aucun filet ne saura empêcher les algues de l’Atlantique de voguer et de tirer leur saveur des eaux qu’elles traversent. Racler, balayer les fonds marins, tremper dans l’encre de seiche, écrire la vie sur la crête des vagues » (Diome 255). Ici, l’auteure utilise l’idée d’une algue pour représenter sa situation identitaire. L’océan est entre les deux pays et n’appartient à personne. L’océan est à la fois connecté aux deux bouts de terre et séparé d’eux. Comme l’algue de l’Atlantique est enracinée quelque part entre les pays mais constamment entourée d’un entre-deux, Salie se trouve entre ses cultures, dans une identité qu’elle construit en écrivant. 

Dans l’introduction de son ouvrage Les Lieux de la culture, Homi Bhabha explique l’idée de Renée Green, qui, dans son musée, représente l’entre-deux par un escalier qui lie deux étages représentant deux identités binaires (Bhabha 33). Il précise, « Le ‘çà et là’ de la cage d’escalier, le mouvement temporel et le passage qu’elle autorise, empêchent les identités situées à chaque bout de s’installer dans des polarités primordiales. Ce passage interstitiel entre des identifications fixes ouvre la possibilité d’une hybridité culturelle qui entretient la différence en l’absence d’une hiérarchie assumée » (Bhabha 33). Cette idée de l’escalier est intéressante en particulier parce qu’elle représente l’entre-deux identitaire pas seulement comme une frontière que l’on peut traverser, mais aussi comme un espace que l’on peut habiter. Si Salie est comme une algue, et son écriture comme l’océan, elle vit dans l’entre-deux de son écriture. Pour Vieux Os en revanche, l’écriture est plutôt transversale parce qu’il l’utilise comme un pont afin de redécouvrir son pays natal lors de son retour. 

Il en résulte que les narrateurs des deux romans que nous venons d’examiner ont vécu des retours à leur pays natal en utilisant l’écriture comme arbitre culturel, ou comme une façon de négocier leur sentiment d’appartenance. Cependant, comme nous l’avons vu, le sentiment d’appartenance est compliqué pour les deux migrants, surtout quand ils ont subi l’exclusion de leur communauté d’origine. À travers son style d’écriture concis, vif et expressif, Dany Laferrière réussit à communiquer d’une façon directe l’expérience nostalgique de Vieux Os quand il revient en Haïti après vingt ans d’exil. Dans Le Ventre de l’Atlantique, Fatou Diome utilise la répétition, les métaphores et l’imagerie pour lier l’océan, l’écriture et le voyage. La connexion que crée Salie entre l’écriture et l’océan lui permet d’explorer et de mieux comprendre son hybridité culturelle. Si Salie, qui n’a jamais été capable de s’intégrer complètement à sa culture natale ou à sa culture adoptive, semble s’être réfugiée dans l’acte d’écrire, Vieux Os utilise, pour sa part, l’entre-deux qu’il crée avec son écriture pour naviguer entre les deux côtés de son identité.  Pour revenir à la métaphore de l’escalier on pourrait avancer que Vieux Os descend l’escalier créé par l’écriture alors que Salie a appris à y vivre.  

Bibliographie 

Bhabha, Homi. Les Lieux de la culture. Traduit par Françoise Bouillot, Payot, 2007. 

Diome, Fatou. Le Ventre de l’Atlantique. Éditions Anne Carrière, 2003. 

Laferrière, Dany. Pays sans chapeau. Serpent à Plumes, 1999. 

Mazauric, Catherine. « Fictions de soi dans la maison de l’autre (Aminata Sow Fall, Ken Bugul, Fatou Diome). » Dalhousie French Studies, vol. 74/75, 2006, pp. 237–52. JSTOR, http://www.jstor.org/stable/40837727. Accessed 3 Apr. 2023. 

Nathan, Robert. « Moorings and Mythology: ‘Le Ventre de l’Atlantique’ and the Immigrant Experience. » Journal of African Cultural Studies, vol. 24, no. 1, 2012, pp. 73–87. JSTOR, http://www.jstor.org/stable/42005273. Accessed 29 Apr. 2023. 

Ravi, Srilata. « Home and the ‘Failed’ City in Postcolonial Narratives of ‘Dark Return.’ » Postcolonial Studies, vol. 17, no. 3, Sept. 2014, pp. 296-306. EBSCOhost, https://doi-org.libproxy.furman.edu/10.1080/13688790.2014.987900.  

Reising, Claire. « Dany Laferrière’s Diasporic Creation and détours through Haitian Painting. » L'Esprit Créateur, vol. 61 no. 3, 2021, p. 48-63. Project MUSE, doi:10.1353/esp.2021.0033.